«En tant que designers socialement et moralement engagés, nous devons répondre aux besoins d’un monde qui est au pied du mur. L’horloge de l’humanité marque toujours minuit moins une.» 1
Des bouleversements majeurs 2, sont à l’œuvre. Dérives du monde globalisé, ils questionnent les notions de progrès, d’abondance et d’habitabilité de la planète à l’aune de ce que les plus pessimistes nomment «la sixième extinction». Ces bouleversements que nous ne voul(i)ons pas voir agissent avec une rapidité fulgurante.
Cette entrée dans l’Anthropocène 3 nous ébranle et nous incite à nous interroger sur notre place dans «ce moment réflexif, culturel et esthétique, où les individus et les sociétés humaines prennent conscience de leur condition vulnérable ainsi que de leur implication directe et de la nécessité de redéfinir nos façons d’occuper et de ménager la Terre.» 4
Force est de constater que nous n’avons plus de temps à perdre face aux défis posés par cette période d’incertitude. Il serait injuste de remettre à la génération suivante la responsabilité de s’engager et d’entreprendre.
Par conséquent, nous décidons de nous engager aujourd’hui pour faire de notre vulnérabilité un vecteur d’action commune et de construction d’une culture permettant d’inventer de nouvelles manières d’exister.
En tant que concepteurs, nous pensons que le design ne doit plus être envisagé comme un moyen pour répondre à des problèmes 5, mais comme un outil pour produire du sens, et qu’il peut générer des pratiques transformatrices dans la société 6.
Malgré les apparences et une actualité mondiale qui nous est systématiquement montrée sous son angle le plus noir, nous croyons que l’humanité est habitée par une «force de vie» qui la rend capable de se décentrer et de porter attention et secours à l’autre 7.
Nous ouvrons 205ter — espace de réflexion et de travail — pour initier, accompagner et valoriser des recherches qui décryptent les problématiques actuelles, questionnent les pratiques alternatives et ouvrent des pistes de transformation. En reconnaissant la fragilité de nos existences et de nos espaces de vie, nous souhaitons œuvrer à leur préservation et restauration afin de rendre la Terre (plus) habitable pour tous.
Nous souhaitons nous adresser à toutes et tous les citoyen.nes curieux de mieux comprendre les crises que nous traversons. Nous voulons participer à la transmission des savoirs et de sujets complexes pour les rendre accessibles au plus grand nombre par une pédagogie toujours exigeante, jamais réductrice.
En faisant confiance à l’intelligence et à la clairvoyance des publics auxquels elle s’adresse, adultes comme enfants et en partageant nos connaissances et réflexions prospectives autour des enjeux contemporains, nous sommes persuadés qu’une prise de conscience individuelle et collective est possible.
Nous proposons d’écrire des récits — de mots ou d’images — et de nourrir nos imaginaires de regards sensibles d’autrices et d’auteurs qui nous interrogent, nous émeuvent, donnent les moyens à chacun de voir, entendre et comprendre le territoire contemporain et d’imaginer celui de demain.
Nous menons des actions multiformes — éditions, expositions, manifestations culturelles, workshops, séminaires — qui visent à nous (r)éveiller et à explorer une culture visuelle, artistique, architecturale et environnementale.
Nous accompagnons sur le temps long des acteurs — qu’ils soient privés, publics, institutionnels ou culturels; tous animés de la même énergie — dans des actions de médiation et de sensibilisation 8.
Ne cédant ni à l’anxiété, ni à la paralysie ou à l’effondrement 9, 205ter a pour ambition d’œuvrer avec optimisme et sincérité à la transition sociale, écologique et économique dans laquelle sont engagés les sociétés et les territoires à l’échelle planétaire pour porter un soin nouveau à notre environnement et à l’homme meurtris par un capitalisme déréglé qui, plutôt que d’apporter la liberté qu’il promettait, a conduit au bord du gouffre en exploitant sans limites les ressources.
Si nous ne pouvons pas avoir la prétention de sauver le monde, nous avons cependant la responsabilité de faire ce qui est à notre portée.
Florence Cortat Roller, Damien Gautier
1. Victor Papanek, Design pour un monde réel (Design for the real world, 1970), Les presses du réel, 2021
2. « Le dernier rapport du GIEC (2022) réaffirme le consensus scientifique sur les dérèglements à l’œuvre à l’échelle planétaire : réchauffement climatique, intensification des variations météorologiques brutales, fonte des glaciers, modification des courants marins et de l’acidité des océans, généralisation des pollutions chimiques des eaux et de l’air, extinction massive des espèces, épuisement des ressources, déforestation, multiplication des mégafeux, etc. Et ce dérèglement global renforce toutes les formes d’inégalités. », Cité Anthropocène
- https://cite-anthropocene.fr
- 6e rapport d’évaluation du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC)
3. «L’humanité, notre propre espèce, est devenue si grande et si active qu’elle rivalise avec quelques-unes des grandes forces de la Nature dans son impact sur le fonctionnement du système terre. Ainsi, le genre humain est devenu une force géologique globale». Will Steffen, Jacques Grinevald, Paul Crutzen et John McNeill, «The Anthropocene: conceptual and historical perspectives», 2011
4. « Bienvenue(?) dans l’Anthropocène! » Michel Lussault, revue A2020, collection «À partir de l’Anthropocène», coédition École urbaine de Lyon et Éditions deux-cent-cinq, 2020
5. « Tout au long de son histoire, le design s’est majoritairement mis dans la roue du développement du capitalisme et, par là même, a simplifié le rapport de chacun aux objets et favorisé la réification de nos vies. Le design a favorisé depuis un siècle un rapport basé sur l’usage, avec des solutions quasi exclusivement anthropocentrées. » Antoine Fenoglio dans « Design with care », entretien avec Cynthia Fleury
- Ce qui ne peut être volé. Charte du Verstohlen, Éditions Gallimard, 2022
6. « Design is the answer, but what was the question? Approches politiques et écologiques du design », Francesca Cozzolino, Emanuele Quinz, Barbara Szaniecki, revue
Multitudes, 2022
7. Humanité. Une histoire optimiste, Rutger Bregman, Éditions du Seuil, 2020
8. Archipel, Centre de culture urbaine, Arte, CAUE de Haute-Savoie, Cité anthropocène, École urbaine de Lyon, École nationale supérieure d’architecture de Clermont-Ferrand, Éditions deux-cent-cinq, Enlarge your Paris, Le Signe, Nouvelles urbanités, Radio France…
9. Mémo sur la nouvelle classe écologique, Bruno Latour et Nikolaj Schultz, Éditions Les Empêcheurs de tourner en rond, 2022
Convaincue que le design peut accompagner le changement social, Florence Cortat Roller investit le champ de la communication institutionnelle et associative depuis 2005 (La Cimade, Boats for people). Formée au design éditorial à la Hear, le livre, en tant qu’objet vecteur d’invention et d’action, a une place centrale dans son travail. Elle a contribué à bâtir les lignes éditoriales consacrées à l’Anthropocène et à l’architecture, l’urbanisme et le paysage, au sein de la maison d’édition deux-cent-cinq. La médiation autour du design graphique l’intéresse particulièrement, tant par la conception de manuels didactiques (collection M.A.X) que de dispositifs d’exposition (galerie Anatome, 2006; musée de l’Imprimerie et de la Communication graphique, 2017; biennale de design graphique, 2020). Attentive à la pédagogie Montessori et aux pratiques d’apprentissage alternatives, elle aime contribuer à l’éducation du regard dès le plus jeune âge.
Le goût de transmettre jalonne le parcours de Damien Gautier. Dessinateur de caractères formé à l’École Estienne (1992), il entreprend de rendre compréhensible le sujet méconnu de la typographie et du design graphique par la conception d’ouvrages exigeants et richement documentés permettant aux praticiens un usage éclairé (Typographie, guide pratique, 2000, Mise en page(s), etc., 2010). Invité par le réalisateur Thomas Sipp, il participe à la création de films de vulgarisation grand public (Sacrés caractères, Radio France, 2014, Safari typo, Arte.tv, 2016). Dans un monde visuellement saturé, il s’intéresse à donner du sens aux images et aux signes qui nous entourent pour sensibiliser un large public à la nécessité d’y porter attention et permettre à chacune et chacun d’en avoir une lecture avertie. Dans cette même logique, il s’investit dans la transmission auprès des étudiants. Il enseigne le dessin de caractères et le design graphique et coordonne le bachelor Design graphique à l’École supérieure des beaux-arts de Lyon (2006-2020. Il développe également des projets éditoriaux à l’attention des enfants (la collection des Super-cahiers) et des familles (Jeu de 9 familles typo’) au sein des Éditions deux-cent-cinq qu’il a créées en 2010.
Ensemble, ils ont fondé, en 2017, la fonderie de caractères 205TF, qui représente et valorise le travail de dessinatrices et dessinateurs à travers le monde. En 2024, ils ouvrent 205ter pour investir davantage encore le champ de la médiation. Ils sont coauteurs de trois manuels à l’attention d’enseignants, de praticiens, de commanditaires et d’étudiants. Ces derniers abordent de manière méthodique les domaines spécifiques liés à la pratique du design graphique: Faire une affiche, Concevoir une identité visuelle (2019), Observer, comprendre et utiliser la typographie (2020), Éditions deux-cent-cinq.